mardi 25 novembre 2014

histoire

Le 15 septembre 1825, une cérémonie étonnante se déroule à Buffalo, dans l’État de New York, marquant la fondation de l’Ararat, au milieu de la rivière Niagara, destinée à servir de refuge aux Juifs persécutés à travers le monde.

L'homme qui a conçu le projet Ararat – du nom de la montagne où l'arche de Noé s'est posée en attendant que les eaux du déluge se retirent – est Mordechaï Manuel Noah (1785-1851).

Noah est un juif américain né à Philadelphie, qui fut tour à tour shérif de New York, dramaturge, journaliste mais aussi diplomate américain à Tunis (fonction dont il a été relevée par le secrétaire d'État américain, James Monroe, qui décida que la judéité de Noah était un handicap après l’avoir choisi précisément pour ses origines censées lui faciliter la tâche dans ce pays).

Mordechaï Manuel Noah se voyait volontiers comme le sauveur des Juifs en danger dans le monde, vision qui relevait d’une forme de sionisme avant la lettre. D
ès 1818, Noah avait estimé que "les perspectives pour la restauration de la nation juive dans ses anciens droits et sa terre n’ont jamais été plus favorables qu’à l’heure actuelle".
Il voyait les "sept millions de Juifs à travers le monde, détenteurs de plus de richesse, d’activités, d'influence et de talents que n'importe quel autre groupe de personnes équivalent en nombre sur la terre, se relever triomphants, revenir sur leur terre (la Palestine) et retrouver leur rang parmi les Nations de la planète".

La création d’Ararat sur l'île Grand répondait toutefois à des motivations nettement plus… prosaïques, avec en contrepoint à ce projet, la réalisation d’une aubaine immobilière pour lui-même et les investisseurs qu'il espérait attirer.
Le 17 août 1824, il avait écrit à Peter B. Porter, politicien et homme d'affaires de New York (futur secrétaire américain de la Défense) pour lui présenter son projet et lui expliquer avec luxe de détails comment un "petit investissement" de 10.000 dollars pourrait générer d’ "immenses profits":

" La pression et l'anxiété en Europe sont telles que toute l'île, répartie en lots, libres d'impôts pendant cinq ans, à raison de 100 $ chacun" pourrait être vendue sans difficultés, "offrant ainsi un asile heureux et sûr pour notre peuple et nous procurant en même temps - par et avec leur approbation - la réalisation d'une fortune princière".
Dans le même texte, Noah reconnait que certains de ses coreligionnaires américains se moquent de son idée, principalement par crainte que l'arrivée des Juifs d’Europe en Amérique ne jette le discrédit sur les Juifs américains.

Le 15 septembre 1825 - lendemain de Roch Hachana - était censé être le moment de lancement du projet.
Comme il n'y avait pas assez de bateaux disponibles pour acheminer tous ceux qui étaient intéressés à participer à une éventuelle cérémonie sur l’île Grand, Noah loua l’église Saint-Paul à Buffalo - seul lieu de culte de la ville –.
Il s’y rendit, affublé de l'habit supposé d'un "Juge d'Israël" (en fait le costume avec médaillon en or du personnage de Richard III, emprunté à un théâtre voisin), à la tête d’une d'une procession de dignitaires, membres du clergé et francs-maçons.
Dans son discours, Mordechaï Manuel Noah proclama le projet Ararat, "cité Refuge, lieu de repos temporaire entre tribulation et la rédemption", ainsi que le rapporte l'historien Jonathan Sarna dans son ouvrage, Le judaïsme américain.
Ce fut là en tout et pour tout ce que fut le projet Ararat.

Peter Porter ne répondit jamais à la lettre de Mordechaï Noah - pas plus que les Juifs opprimés d’Europe n’affluèrent sur les côtes américaines.

L'idée fut tournée en ridicule aussi bien aux États-Unis qu’en Europe (y compris par le grand rabbin de Paris de l’époque) et, fin 1825, Mordehaï Noah lui-même dissuadait ses propres amis d’investir dans Ararat. La terre prévue pour la colonie fut finalement revendue à un investisseur en bois. Le projet Ararat a bel et bien existé.

Pour preuve, cette pierre angulaire de 135 kg sur laquelle est inscrite en hébreu la prière du Shema Israël, dévoilée lors de la fameuse cérémonie à l’église Saint-Paul, exposée aujourd’hui à la société historique de Buffalo.
Un petit détour sur le chemin des chutes du Niagara peut aussi emmener les curieux sur l’île de Grand pour jeter un coup d’œil sur la "colonie virtuelle" conçue par une équipe universitaire américano-canadienne et intitulée "Ararat : un projet de patrie juive imaginaire".

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